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Ressources humaines : ce qui ne change pas avec le digital.
Quatre préoccupations managériales majeures semblent émerger de ce faisceau de mutations imbriquées. À chaque fois, la fonction RH est concernée.
* Il y a d'abord la question de la disruption. La concurrence accrue et les évolutions technologiques rapides déstabilisent les positions concurrentielles. Il faut apprendre à innover et à adapter les effectifs et les compétences en permanence pour rester dans une course qui s'accélère.
* La marchandisation de la relation salariale est un autre phénomène : la transparence et la rapidité des appariements sur le marché du travail relativisent la préférence pour les relations d'emploi longues fondées sur le contrat à durée indéterminée. Il faut alors apprendre à gérer des populations aux statuts divers.
* La collaboration est la troisième tendance : le digital remet en cause les chaînes de commandement structurées et les schémas d'organisation issus du taylorisme. Les organisations doivent imaginer de nouvelles formes de contrôle et de gestion de l'engagement pour viser l'agilité nécessaire à la survie, mais aussi pour répondre aux aspirations des talents dont elles ont besoin.
* La robotisation, enfin, constitue un champ immense de préoccupations sur lequel se croisent les potentialités de l'« humanité augmentée » et les angoisses d'un asservissement de l'homme à la machine. Un modus vivendi entre les humains et les non-humains doit être trouvé, si possible au bénéfice des premiers.
Face à ces enjeux, les Cassandres prédisent parfois le pire pour la fonction ressources humaines (RH). Les équipes RH sont en effet menacées à plus d'un titre. Un grand nombre d'activités RH consistent à collecter, organiser et synthétiser des informations en vue de prendre des décisions aussi équitables que possible. C'est la base de la gestion administrative des contrats de travail, mais aussi du recrutement, de la gestion des carrières ou encore de la rémunération.
Or, ces activités sont hautement soumises à l'automatisation. La gestion des ressources humaines (GRH) est en outre souvent pensée en référence à des schémas d'organisation stables et pérennes, à partir desquels on peut fonder des prévisions nécessaires à la planification de mouvements de main-d'Å“uvre et de développement de compétences et penser des organigrammes structurés autour de définitions de fonctions précises et reflétant des hiérarchies sociales importées dans l'entreprise. On peut ainsi reprocher à la GRH de proposer des carcans là où les équipes ont besoin de souplesse.
« Oui, on peut se passer des DRH ! » interview de Michel Mondet, président d'Akeance Consulting (Xerfi canal, 2016). VOIR LA VIDEO
Enfin, en faisant du manager de proximité le « RH de premier niveau », la fonction RH s'est peut-être progressivement éloignée du terrain, ce qui nourrit des soupçons sur sa capacité à comprendre les enjeux du travail tel qu'il est et tel qu'il évolue.
La fonction RH ne bénéficie pas toujours d'une image positive, mais la transformation digitale est l'occasion pour elle de peser dans la stratégie des organisations. En effet, les quatre enjeux liés au digital remettent la question du travail, de l'emploi, de l'organisation et de l'éthique au cÅ“ur des problématiques contemporaines. Bien plus, les grilles d'analyse et les démarches de GRH sont certes mises à l'épreuve, mais ne sont pas obsolètes pour autant. Il semble ainsi que la transformation digitale ne doit pas conduire à mettre à l'écart la fonction RH, mais au contraire à la remettre au centre des stratégies. Nous en donnons ici 4 exemples.
La digitalisation conduit à repenser la coopération et le travail collectif. Elle valorise des modes de management plus horizontaux et coopératifs. Certaines entreprises vont jusqu'à adopter un mode appelé « entreprise libérée » : structure aplatie, responsabilisation et autonomisation des salariés, réduction de la technostructure. Ce basculement n'est pas nouveau.
Depuis le XXe siècle, deux visions s'opposent sur la meilleure manière d'organiser le travail : une vision, dite mécaniste, issue des travaux de Frederick Taylor, visant à réduire autant que possible les marges de manÅ“uvre des travailleurs, et une vision, dite organique, issue de l'école des relations humaines, lancée dans les années 1930 et incarnée notamment par le psychologue et sociologue australien Elton Mayo, soulignant que l'autonomie des salariés est importante car ce sont eux qui maîtrisent le mieux les savoir-faire et compétences nécessaires au bon accomplissement du travail.
Enfin, le digital peut dans certains cas aller de pair avec une soumission de l'humain à la machine : formulaires informatiques, outils digitaux planifiant fortement le travail, management par les algorithmes comme chez Uber, Amazon Mechanical Turk ou Deliveroo… Or, la question de l'autonomie des êtres humains avait déjà été posée par l'école des relations humaines déjà mentionnée, et cette dualité de la technique qui aide mais peut aussi prescrire avait aussi été étudiée dès la fin du XXe siècle par la théoricienne de l'organisation Wanda Orlikowski.
Finalement, loin de nous l'idée de sous-estimer les changements induits par la digitalisation dans les organisations de travail, ni ses effets sur la fonction RH. En revanche, appeler à un renouvellement conceptuel nous semble inutile, sinon dangereux : de nombreuses théories et grilles d'analyse restent tout à fait pertinentes, ce qui indique que, contrairement à ce que d'aucuns voudraient faire croire, le digital ne bouleverse pas l'ensemble de nos repères, intellectuels notamment.
Clotilde Coron, Arnaud Franquinet et Florent Noël viennent de publier le livre « Digital et RH : les quatre défis stratégiques » aux Éditions Vuibert.
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